Il détestait ce quartier autant qu’il l’appréciait. C’était qu’il y passait la majeure partie de son temps, à ne pas toujours fréquenter le bon type de gens et à faire des paris louches lorsqu’il n’arrivait pas à trouver sommeil. Ou à trouver lieu de sommeil, ce qui était plutôt le cas ce soir, et si ses pas le ramenaient constamment aux quelques ruelles lui étant familières, c’était un peu à contrecoeur ce soir. Désespérément, il avait tenté de trouver un emploi meilleur – mais personne n’avait envie d’engager un jeune sans éducation, même pas dans les bars les plus miteux. Et ce soir encore, c’était la troisième fois qu’il se faisait chasser d’un commerce, tout ça pour avoir supplié de lui donner une chance. Il était intelligent, il était rusé, il calculait mieux que beaucoup d’autres, mais sans diplôme, ça ne valait rien. Il s’était finalement résigné et avait foulé les rues du quartier quelques minutes – ou heures, il ne savait plus trop – à la recherche d’un visage familier. Au final, ça n’avait rien donné, mais il avait trouvé un coin tranquille, quelques clopes, et la température était douce. Ça ne servait à rien de s’acharner sur son sort, de toute façon, il avait vécu pire, pensait-il, alors qu’il tirait sur sa première cigarette depuis déjà quelques heures. Un petit sourire étira le coin de ses lèvres, et il s’appuya à la brique fraiche, fermant les yeux. « ben c’est pas si pire que ça, mon pote. » marmonna-t-il à lui-même, déjà plus calme.

Il sursauta, si fort qu’il en échappa presque la – précieuse – clope coincée entre ses lèvres. Il reconnut la voix, instantanément, alors ce ne fut pas le plus gros choc – ce fut plutôt la brusquerie de son arrivée. Et il parlait comme s’il l’avait cherché des heures durant… en y pensant, il l’observa, perplexe, les bras du plus vieux se tendant vers lui dans une pas si subtile demande de câlin. Il était fou, complètement déglingué ce vampire-là, à venir lui chercher de l’affection et agir comme ça… c’était pas possible. Il cherchait un crime facile, un peu comme à l’époque – on allait chercher les prostitués pour les bouffer, et personne ne les cherchait. Il cligna des yeux et secoua la tête, tirant sur sa cigarette et l’écrasant, l’observant tout au long. Il l’avait donc réellement cherché. Quel étrange personnage, celui-là. Lui faire confiance ? pas certain, pas encore. Il était trop bizarre. Mais encore, il lui offrait une chance de passer la nuit au chaud. De prendre une bonne douche, et de manger. Et ses plats, il le savait déjà, étaient toujours exquis. Il pinça les lèvres, puis se décolla du mur en réalisant qu’il n’avait pas dit un mot.

« stop, stop... » il l’avait coupé alors qu’il commençait à parler de son manque de goût alimentaire. Bien sûr, qu’il savait qu’il était un vampire. Et bien sûr qu’il savait toutes ces choses, mais ça le rendait mal à l’aise. il secoua la tête, passa une main dans sa chevelure et s’approcha de lui, lui tapotant maladroitement l’épaule en guise de remplacement pour le manque de câlin. « je, ouais… ouais, d’accord, j’ai bien besoin d’une douche. tu m’as cherché combien de temps, merde ? t’es cinglé toi… »

Ça lui glaçait le sang, chaque fois qu'un vampire commençait à lui parler comme ça. Malgré le fait qu'il cherchait à en savoir plus sur eux - et en constance - il n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'un humain et un vampire ne puisse se côtoyer, et, surtout, discuter ainsi des choses comme si c'était absolument rien. Le plus jeune se vit donc figé un moment, tandis que ce dernier lui proposait de loger chez lui, et tout le tralala de vampire qui venait avec....c'était pas possible, d'agir comme ça et - en plus - d'agir comme s'il était son meilleur pote et qu'il ne lui voulait que du bien. Jayson avait longtemps été convaincu que les vampires ne pouvaient rien ressentir, de toute évidence, mais il avait dû se rendre à l'évidence... ils devaient bien avoir un cœur, quelque part. Mais il restait sur ses gardes, tout de même, parce que le jeune homme était beaucoup trop ouvert avec lui à son goût.

« deux heures ? t'es sérieux ? » demanda-t-il, l'air abasourdi. C'était pas croyable, définitivement. Mais il ne pouvait pas refuser, pas après ce qu'il venait de lui avouer, de façon si légère qu'il avait presque envie de lui mettre une claque au visage pour qu'il se réveille. Mais il était mignon, en même temps... il se perdait, là. Il secoua la tête et grimaça, lui attrapant le bras pour lui faire signe de bouger. « allez, on y va. mais je peux pas accepter de vivre chez toi, tu le sais très bien. » il hocha la tête négativement puis relâcha son bras, lui enchaînant le pas. Ils n'allaient pas rester trois heures à parler des éventualités impossibles de vivre chez lui. Et pour changer le sujet, il revint à sa première question, pivotant pour marcher à reculons tout en lui parlant. « j'ai pas mangé depuis hier soir... » avoua-t-il en haussant une épaule, frottant son estomac. C'était habituel, ça, pour lui, de toute façon. « n'importe quoi fera, juré. »

C'était presque triste, de l'entendre parler ainsi. Comme s'il était le seul au monde à lui accorder de l'attention. Bien souvent, c'était exactement pour ça qu'il n'arrivait pas à refuser - ça le rendait si heureux qu'au final, il n'y voyait pas de raison de réellement refuser. Si tous deux en profitaient alors... autant bien le suivre et aller passer une bonne nuit au chaud, chez lui. Son canapé était bien plus confortable que le sol, froid et dur au passage, tout particulièrement depuis que la saison froide s'était installée. Bientôt, le vampire le rejoint, et il le suivait d'un pas rapide, pressé de rentrer au chaud et de manger un vrai repas. Mais ça, il ne le lui avouerait probablement pas, ou du moins, pas pour le moment.

« personne ne vient te rendre visite ? »  demanda-t-il, d'un air presque innocent. Jayson n'avait pas vraiment de tact - on ne lui avait pas appris à en avoir, dans la rue. Il était direct et sans filtre, sauf si, évidemment, il cherchait à soutirer des informations d'une personne quelconque. Mais ça, c'était un autre lui. En présence du jeune vampire - parce qu'il avait cru comprendre, à sa façon d'aborder les choses, qu'il n'avait pas été mordu il y avait de cela des décennies quand même - il laissait tomber ses armures, un peu plus lui-même, même si, au fond, il faisait de tout son mieux possible afin de ne pas lui en révéler trop. Ou pire, s'attacher. Même si ça, c'était un peu raté, au final, puisqu'il faisait toujours en sorte de ne pas le brusquer. Mais ne sait-on jamais - les vampires pouvaient être viles, après tout. « j'veux dire... t'as aucun ami ? » renchérit-il, alors qu'ils se retrouvaient près de l'endroit où vivait le plus vieux - il commençait à connaître ce quartier, et le studio de mingyu commençait à lui être familier, après tout.